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N° 2675

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 mars 2015

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

Sur la proposition de règlement relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques (COM(2014) 180 final – E 9240),

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Yves DANIEL

Député

——

La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; M. Christophe CARESCHE, Mme Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; M. Philip CORDERY, Mme Estelle GRELIER, MM. Arnaud LEROY, André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain Bocquet, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, MM. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sandrine DOUCET, M. William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Rémi PAUVROS, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 5

I. UN CALENDRIER CONTRAINT PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE 7

1. Parlement européen et Conseil ont six mois pour parvenir à un compromis, faute de quoi la proposition sera retirée 7

2. Une refonte du règlement no 834/2007 est souhaitable 7

a. Une absence d’harmonisation des règles applicables 8

b. La défaillance des contrôles 9

c. Les lacunes du régime de l’importation 9

II. UNE PROPOSITION DE RÈGLEMENT QUI, MALGRÉ SES POINTS POSITIFS, PRÉSENTE DES DANGERS ET DOIT ETRE AMÉLIORÉE DANS L’INTÉRET DE TOUTES LES PARTIES PRENANTES 11

1. La mixité des exploitations biologiques 11

2. Les règles de production et les dérogations à ces règles 12

a. Les dérogations aux règles de production 12

b. Les règles relatives au bien-être animal 13

3. Les contrôles 13

a. Des contrôles basés exclusivement sur l’analyse des risques 13

b. La certification de groupe 14

c. Les résidus de substances non autorisées 14

4. Les règles relatives aux importations 15

5. La question des actes délégués 16

TRAVAUX DE LA COMMISSION 17

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 21

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le projet de résolution européenne que nous vous présentons aujourd’hui porte sur la proposition de règlement relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques.

Commençons par quelques chiffres : la production biologique, aujourd’hui, se porte bien, que ce soit en Europe ou en France. En 2012, dans l’Union européenne, 235 000 exploitations agricoles cultivaient 9,5 millions d’hectares selon le mode biologique dans les 27 États-membres de l’Union européenne (y compris les surfaces en conversion 1). L’agriculture biologique représentait ainsi 5,4 % de la surface agricole utile (SAU) européenne.

Quant à la France, avec 1,1 million d'hectares cultivés en bio par plus de 25 000 exploitants, elle a dépassé l'Allemagne et affiche depuis 2014 la troisième surface bio d'Europe, derrière l'Espagne et l'Italie. 75 % des produits biologiques consommés en France sont aujourd’hui produits en France.

La consommation, justement, progresse plus rapidement que la production. En Europe, le bio, c’est un marché de 22,2 milliards d’euros (en 2012) qui a doublé depuis 2004. De même en France, malgré la crise et les prix généralement plus élevés des produits issus de l'agriculture biologique, les consommateurs français se tournent de plus en plus vers le bio. Les ventes ont ainsi atteint 5 milliards d'euros en 2014, soit plus du double de 2007.

Les produits bio répondent donc à une attente forte des consommateurs et des agriculteurs, également soucieux de la qualité de leur alimentation comme de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement.

En effet, l’agriculture biologique n’est pas seulement la certification d’un processus de production. Le bio, c’est avant tout des produits de qualité qui le sont du fait de ce processus de production qui repose sur des pratiques de culture et d'élevage en phase avec les cycles naturels, qui exclut le recours à des OGM et limite strictement l'utilisation des intrants chimiques de synthèse, tout en assurant un niveau élevé de bien-être animal. L’agriculture bio joue ainsi un double rôle sociétal : d'une part, elle approvisionne un marché spécifique répondant à la demande de produits bio et, d'autre part, elle fournit des biens publics contribuant à la protection de l'environnement, de la santé ainsi qu'au développement rural.

Toutefois, du point de vue juridique, sont biologiques les produits dont la production a respecté les règles fixées par le règlement no 834/2007 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, auquel la présente proposition de règlement se substituerait.

En effet, même s’il se porte bien, et pour cette raison même, le bio fait face à de nombreux défis insuffisamment pris en compte par les règles actuelles. La production progressant moins vite que la consommation, les importations depuis les pays tiers augmentent, alors même que ces produits ne présentent pas les mêmes garanties pour les consommateurs. Or, la confiance de ces derniers dans la qualité des produits bio est fondamentale. Elle est également menacée par les multiples dérogations aux règles de production qu’autorise le règlement no 834/2007, l’application très variable de celui-ci par les États-membres ainsi que par certaines défaillances du système de contrôle de la production biologique, telles que mis en évidence par la Cour des comptes européenne.

Par conséquent, si les règles actuelles, découlant du règlement no 834/2007 ont permis cet essor de la production et de la consommation des produits biologiques depuis 2007, elles montrent aujourd’hui leurs limites, lesquelles justifient qu’elles soient modifiées afin de répondre à ces défis.

Votre rapporteur prépare actuellement un rapport d’information sur l’agriculture biologique qui devrait être examiné par votre Commission avant l’été. Il dressera un panorama d’ensemble de la filière et de ses enjeux dans la perspective de la refonte du règlement 834/2007. Toutefois, il convient d’anticiper le résultat de ce travail en raison de l’urgence à prendre position sur la présente proposition de règlement. En effet, la Commission européenne a annoncé qu’elle retirerait sa proposition si le Conseil et le Parlement européen ne parvenaient pas à un compromis avant fin juin.

Cette communication a pour objet à la fois d’informer votre Commission sur les enjeux important de cette réforme et de l’amener à prendre position sur celle-ci. Si elle est nécessaire, elle doit cependant être équilibrée entre la nécessaire confiance des consommateurs et les contraintes imposées aux producteurs.

I. UN CALENDRIER CONTRAINT PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE

1. Parlement européen et Conseil ont six mois pour parvenir à un compromis, faute de quoi la proposition sera retirée

La présente proposition de règlement a été présentée par la Commission européenne le 25 avril 2014. Les travaux au Conseil ont débuté au deuxième semestre 2014 sous présidence italienne. Toutefois, les divergences entre les États-membres sur le contenu de la proposition elle-même comme sur l’opportunité d’une refonte du règlement no 834/2007 ont empêché l’adoption d’une orientation générale, même partielle, avant la fin de l’année dernière.

La nouvelle Commission a présenté en janvier un programme de travail pour l’année 2015 guidé par une volonté de simplification et d’efficacité. Celle-ci s’est traduite par l’abandon de nombreuses propositions d’actes et, s’agissant de la présente proposition de règlement, par un ultimatum au Conseil et au Parlement européen : il leur faut parvenir à un compromis permettant l’adoption de la proposition avant fin juin, faute de quoi elle sera retirée.

Les auditions menées dans le cadre de ce rapport auprès de représentants de la Représentation permanente française, de la Commission européenne et du Parlement européen, ainsi que les avancées obtenues lors du Conseil « Agriculture » du 16 mars rendent relativement optimiste sur les possibilités d’un accord entre les États-membres. En revanche, il est difficile de juger de la probabilité d’un compromis avec le Parlement européen tant que la position du rapporteur de la Commission de l’Agriculture – M. Martin Haüsling – n’est pas connue. Après plusieurs reports, le rapport devrait être publié mi-avril.

Ce qui est en revanche très probable, c’est que le délai de six mois accordé par la Commission européenne avant le retrait de sa proposition ne soit pas suffisant pour parvenir à un accord entre ces deux institutions. Il serait toutefois regrettable, considérant le travail accompli, en particulier au Conseil, et les attentes des différentes parties prenantes que la proposition de règlement soit brusquement retirée parce que le délai aura été dépassé.

2. Une refonte du règlement no 834/2007 est souhaitable

Le risque n’est donc pas totalement écarté qu’in fine, un compromis ne soit pas trouvé, que ce soit au Conseil ou entre le Conseil et le Parlement européen, ou que la proposition soit retirée par la Commission. Un tel retrait retarderait d’au moins cinq ans la refonte du règlement actuel. Certains États-membres estiment pouvoir se satisfaire du statu quo, d’autant que le règlement no 834/2007 resterait applicable. On a vu qu’il a permis un essor remarquable de la production comme de la consommation de produits bio.

Toutefois, votre rapporteur regretterait l’échec des négociations car le règlement no 834/2007 a montré ses limites et n’est plus adapté aux enjeux actuels de l’agriculture biologique. Les différentes évaluations faites à la fois par la Commission européenne 2, un expert indépendant 3 et le Parlement européen 4 ont d’ailleurs mis en exergue les insuffisances des règles actuelles au détriment à la fois des producteurs et des consommateurs. Les parties prenantes auditionnées, notamment la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB), la COPA-COGECA, l’Agence Bio et la Confédération paysanne, me l’ont également confirmé. Parmi ces insuffisances, on peut citer :

a. Une absence d’harmonisation des règles applicables

Le rapport Thünen précité et les auditions ont mis en évidence combien l’application des règles pouvait diverger entre les États-membres. Ainsi, certaines règles ne sont pas clairement définies, laissant libre cours à des interprétations différentes permettant à certains États-membres de favoriser leurs producteurs sur le marché européen. L’un d’entre eux a même profité d’une imprécision pour autoriser la culture hors sol, en totale contradiction avec les principes de l’agriculture biologique. Les mêmes distorsions de concurrence découlent des règles laissées à la discrétion des États-membres en application du principe de subsidiarité, par exemple pour la détermination du temps pendant lequel les parcours utilisés par les volailles doivent rester vides entre deux cycles d’élevage 5.

D’une manière générale, au-delà des divergences d’interprétation, ce sont les règles elles-mêmes qui peuvent être différentes en raison, en particulier, des dérogations permises par le règlement no 834/2007. Les différentes évaluations mentionnées supra ont montré que ces dérogations, notamment s’agissant de l’obligation d’utiliser des semences biologiques, ont une incidence négative sur la production biologique, notamment parce qu’elles entravaient la mise sur le marché d’intrants biologiques. En outre, la gestion et le contrôle de ses dérogations entraînent une charge considérable, tant pour les autorités compétentes que pour les opérateurs. Enfin, elles sont à l’origine de distorsions de concurrence entre les producteurs et sont susceptibles de nuire à la confiance des consommateurs 6.

b. La défaillance des contrôles

Un mécanisme de contrôle crédible est fondamental pour la confiance du consommateur et, par conséquent, pour la pérennité et le développement de la production biologique. Les contrôles sont ainsi, en matière de production biologique, bien plus fréquents que pour l’agriculture conventionnelle. Par exemple, le contrôle physique annuel est obligatoire pour toutes les exploitations alors que pour les programmes de développement rural de la PAC, par exemple, ils ne concernent que 5 % des bénéficiaires par an. Cette fréquence et la nature des contrôles entraînent des coûts importants pour les exploitations 7.

Outre l’adéquation des contrôles se pose également la question de leur mise en œuvre. Plusieurs lacunes ont été mises en évidence :

– les méthodes d’analyse des résidus de substances non autorisées ne sont pas harmonisées entre les États-membres ni même entre les organismes de contrôle d’un même État-membre, seuls quelques État-membres ayant une régulation nationale en la matière ;

– les sanctions applicables en cas d’irrégularités ne sont pas uniformisées entre les État-membres. Les organismes de contrôles sanctionnent donc différemment les mêmes irrégularités d’un État-membre à l’autre et ce, alors même que des possibilités d’échanges d’informations sont prévues par les articles 30 et 31 du règlement no 834/2007, notamment à travers le Système d’information sur l’agriculture biologique ;

– enfin, les autorités compétentes sont elles aussi, parfois, défaillantes dans leur supervision des organismes de contrôle. Le rapport Thünen a ainsi relevé que certaines ne les auditent jamais. En outre, les responsabilités peuvent être dispersées entre plusieurs autorités compétentes nationales, posant des problèmes de coordination et d’échanges d’informations entre elles et avec les organismes de contrôle.

c. Les lacunes du régime de l’importation

Le marché bio est aujourd’hui mondial et une part importante – quoique non évaluée au niveau européen – des produits bio est aujourd’hui importée. Sont évidemment massivement importés les produits non cultivés sur le territoire européen (par exemple les produits exotiques) mais pas seulement. Pour garantir la confiance des consommateurs comme les conditions d’une juste concurrence, il faut que les règles applicables soient les mêmes pour tous et que le mécanisme de contrôle assure le même niveau de qualité des produits.

S’agissant des importations, deux régimes coexistent aujourd’hui :

– le régime des pays « équivalents ». Lorsque les règles de production biologiques applicables dans un pays tiers sont reconnues équivalentes à celles de l’UE, les produits conformes à ces règles peuvent être librement importés dans l’UE et commercialisés comme produits biologiques 8 ;

– le régime des contrôles « équivalents ». Lorsque les autorités compétentes, les organismes de contrôle et le cahier des charges qu’ils ont établis ont été reconnus équivalents par la Commission européenne, les produits conformes à ces règles et contrôlés par ces organismes peuvent être librement importés dans l’Union européenne et commercialisés comme produits biologiques.

Ces deux régimes présentent le même inconvénient d’exiger, de la part de la Commission européenne, un travail considérable afin de s’assurer de l’équivalence des règles des pays tiers, d’une part, et des autorités et organismes de contrôles de ces pays, d’autre part. Les ressources qu’exige ce travail sont telles que seuls onze pays ont été reconnus équivalents malgré des demandes bien plus nombreuses et toujours en attente. Toutefois, les vraies insuffisances se révèlent, selon la Cour des comptes européenne, une fois que ces pays et, surtout, ces organismes de contrôle, ont été reconnus équivalents. « La Commission n’a pas d’information suffisante pour s’assurer elle-même que le système de contrôle dans les pays tiers reconnus comme équivalent continue à remplir les exigences obligatoires aussi longtemps qu’ils ont ce statut ». En outre, comme le relève le rapport Thünen, les contrôles inopinés, les inspections rapides en cas de suspicion de fraude, les analyses de laboratoires pendant la phase de production (c’est-à-dire l’analyse des intrants, des installations de stockage…) sont peu fréquents, si bien que détection des risques de non-respect des règles est substantiellement plus basse que dans l’Union européenne.

Au final, alors que la complexité des règles actuelles, en particulier pour les petits exploitants, est susceptible de les dissuader de se convertir au mode de production biologique, les divergences dans l’application de ces règles, tant entre les États-membres qu’entre les organismes de contrôle, et la multiplication des dérogations entraînent des distorsions de concurrence entre les producteurs européens. Quant aux règles applicables aux importations, elles ne peuvent garantir la qualité des produits biologiques importés. Dans ces conditions, le règlement (CE) no 834/2007, après avoir contribué à son développement, contraint la production biologique européenne dans un contexte de forte croissance de la demande et, par la défaillance de ses mécanismes de contrôle, fait peser un risque majeur pour la confiance du consommateur en cas de révélation d’une fraude ou d’une négligence affectant la qualité des produits biologiques.

II. UNE PROPOSITION DE RÈGLEMENT QUI, MALGRÉ SES POINTS POSITIFS, PRÉSENTE DES DANGERS ET DOIT ETRE AMÉLIORÉE DANS L’INTÉRET DE TOUTES LES PARTIES PRENANTES

Si une refonte du règlement (CE) no 834/2007 est souhaitable compte tenu de ses insuffisances, la proposition de règlement, malgré des points positifs, présente de nombreux risques, confirmés par les auditions menées dans le cadre du présent rapport. Si l’enjeu, comme le rappelle la Commission européenne, est « d’assurer une croissance continue de l’offre et de la demande tout en maintenant la confiance des consommateurs », cet équilibre ne semble pas respecté dans la proposition de règlement. Dans sa volonté d’uniformiser les règles applicables, elle augmente les contraintes pesant sur les exploitants, au risque de déprimer la production européenne de produits biologiques. A l’inverse, en allégeant d’autres contraintes, en particulier s’agissant des contrôles, elle est susceptible de nuire à la confiance du consommateur.

1. La mixité des exploitations biologiques

Considérant que les risques de manquements aux règles sont plus importants dans les exploitations mixtes (qui comportent à la fois des unités de production conventionnelle et des unités de production biologique), la proposition de règlement impose qu’à l’issue de la période de conversion, les exploitations biologiques ne pourront plus comporter d’unités de production conventionnelle.

Toutefois, non seulement une telle mesure repose sur une analyse partielle – les fraudes concernent dans la grande majorité des cas l’aval et non la production elle-même, mais l’interdiction de la mixité aurait pour conséquence la disparition de 25 % des exploitations biologiques françaises et britanniques et jusqu’à 45 % des exploitations espagnoles. En outre, ces exploitations aujourd’hui mixtes, auront toujours la possibilité de séparer juridiquement (et non plus seulement physiquement) les unités de production biologique et conventionnelle en deux exploitations distinctes. Dans ce cas, l’organisme certificateur ne pourrait contrôler que l’exploitation biologique sans avoir accès, par exemple, à la liste des produits non autorisés achetés par l’exploitation conventionnelle.

En outre, la mixité n’est parfois pas un choix. Elle est au contraire subie, par exemple pour la betterave sucrière qui, aujourd’hui, ne peuvent pas être certifiées bio. Un exploitant peut les cultiver, parce qu’elles sont très rentables, et développer sur une autre unité de son exploitation des cultures biologiques. Avec l’interdiction de la mixité, non seulement la betterave sucrière cultivées par cet exploitant ne seront pas plus biologiques qu’aujourd’hui mais, au contraire, il pourrait laisser tomber les cultures biologiques, moins rentables, ou séparer juridiquement ses unités de production biologique de ses unités de production conventionnelle, affaiblissant l’efficacité des contrôles.

2. Les règles de production et les dérogations à ces règles

A quelques exceptions près, les règles de production restent globalement inchangées dans la proposition de règlement. En revanche, les dérogations à ces règles sont substantiellement modifiées.

a. Les dérogations aux règles de production

Afin d’harmoniser les règles applicables à la production biologique et renforcer la confiance du consommateur, la proposition de règlement réduit fortement le nombre des dérogations à celles-ci tout en limitant leur durée. Ainsi, la dérogation pour catastrophe naturelle subsistera en tant que telle de manière pérenne mais les autres, par exemple la dérogation à l’obligation d’utiliser des semences biologiques, seront limitées dans le temps.

Si les objectifs poursuivis par la Commission européenne doivent être approuvés, il convient d’être attentifs aux contraintes insurmontables que la fin des dérogations pourrait faire peser sur les producteurs. En effet, supprimer, immédiatement ou à terme, les dérogations implique de disposer des alternatives biologiques nécessaires. Deux exemples sont particulièrement significatifs :

– la part des aliments pour animaux provenant de l’exploitation ou de la région sera portée de 60 à 90 % pour les ruminants et de 20 à 60 % pour les monogastriques (porcs, volailles…). Or, si l’objectif de relocalisation qu’il implique est louable, encore faut-il définir ce qu’est une « région » et prendre en compte la possibilité de mauvaises récoltes ou, plus simplement, que les régions d’élevage et de culture ne sont pas forcément les mêmes ;

– la fin en 2022 des dérogations à l’obligation d’utiliser des semences biologiques laisse entière la question de la disponibilité à cette date desdites semences qui, aujourd’hui, n’existent pas pour de nombreuses variétés, obligeant les producteurs à utiliser des semences non biologiques non traitées.

Pour de nombreuses parties prenantes, s’agissant des semences, la date retenue par la Commission est illusoire mais elle a le mérite d’ouvrir des perspectives commerciales susceptibles d’inciter les semenciers à lancer des programmes de recherche pour créer de nouvelles variétés adaptées à l’agriculture biologique. En effet, la possibilité de dérogations à l’utilisation des semences biologiques est, par elle-même, un frein à la recherche dans ce domaine.

D’une manière générale, la question des dérogations aux règles de la production biologique est inséparable de celle de la recherche, que ce soit pour les semences ou pour les produits phytosanitaires, et de la nécessité de créer des équivalents biologiques aux intrants de l’agriculture conventionnelle.

b. Les règles relatives au bien-être animal

L’un des principes de la production biologique est de « respecter des normes élevées en matière de bien-être animal ». La proposition de règlement renforce les règles applicables sur plusieurs points :

– elle interdit « l’attache ou l’isolement des animaux d’élevage, à moins que ces mesures concernent des animaux individuels pendant une durée limitée et pour autant qu’elles soient justifiées par des raisons vétérinaires ». Toutefois, « les autorités compétentes peuvent autoriser l’attache des bovins dans les microentreprises » ;

– elle interdit « toute mutilation » ;

– enfin, si la castration reste autorisée, elle ne sera possible que « dans le cadre d’une anesthésie ou d’une analgésie suffisante et si les opérations sont réalisées à l’âge le plus approprié par du personnel qualifié ».

Toutefois, il faut souligner que l’attache ou certaines pratiques mises en œuvre de longue date, qui peuvent apparaître comme des mutilations, sont parfois nécessaires au bien-être animal (coupe de la queue), à la sécurité des éleveurs et des animaux (écornage) ainsi qu’à la qualité des produits (castration) ; s’agissant de cette dernière, l’obligation de recourir à une anesthésie fait courir un risque mortel pour certains animaux comme les porcs alors que, pour ceux-ci, des méthodes traditionnelles d’anesthésie existent qui doivent pouvoir continuer à être employées.

3. Les contrôles

Si la Commission européenne reconnaît, à juste titre, que « la production biologique ne peut être crédible que si elle fait l’objet de vérifications et de contrôles efficaces à toutes les étapes de la production, de la transformation et de la distribution » et qu’elle propose des mesures allant dans le bon sens, que ce soit en termes de renforcement des contrôles sur les distributeurs ou de simplification pour les petits exploitants, il n’en va pas de même pour d’autres dispositions qui sont susceptibles de nuire à la confiance des consommateurs comme au développement de la production.

a. Des contrôles basés exclusivement sur l’analyse des risques

Conformément à la recommandation du rapport Thünen, la Commission propose une approche des contrôles basée sur l’analyse des risques que peuvent présenter les opérateurs ; parallèlement, l’obligation d’un contrôle physique annuel de toutes les exploitations bio est supprimée.

Cette approche des contrôles basée sur l’analyse des risques est présentée par la Commission comme de nature à diminuer leur coût et les contraintes qu’ils font peser sur les opérateurs, tout en maintenant leur efficacité puisque ceux qui présentent le plus mauvais profil de risque seront prioritairement et plus fréquemment contrôlés. Toutefois, outre que l’analyse des risques est déjà prise en compte dans les contrôles actuels, cette approche et, surtout, la suppression du contrôle physique annuel obligatoire, sont largement dénoncées par l’ensemble des opérateurs et de leurs représentants. Ils considèrent qu’elle est de nature à nuire à la confiance des consommateurs. En effet, l’argument que les exploitations biologiques sont contrôlées tous les ans, par sa simplicité, est très souvent mis en avant par les producteurs et aisément compris par les consommateurs.

b. La certification de groupe

Les producteurs biologiques, en particulier les plus petites exploitations, sont confrontés au coût élevé de la certification, coût que la Commission s’est donnée pour objectif de réduire. La proposition de règlement prévoit donc la possibilité d’une certification de groupe afin de réduire les coûts d’inspection et de certification et les contraintes administratives connexes pour les petits producteurs (jusqu’à 5 ha) qui se regrouperaient. Toutefois, les conditions dans lesquelles le manquement d’un de ses membres entraînera le retrait de la certification de l’ensemble du groupe ne sont pas précisément définies.

c. Les résidus de substances non autorisées

Actuellement, s’il existe une obligation générale d’éviter les substances interdites – en particulier les pesticides – dans les produits biologiques, il n’y a pas d’harmonisation des méthodes d’analyse des résidus, des seuils de détection et des conséquences en matière de décertification de la production. Dès lors, les pratiques diffèrent d’un État-membre à l’autre, voire d’un organisme de contrôle à l’autre, avec pour conséquence qu’un produit biologique considéré comme tel dans un État-membre pourrait ne pas l’être dans un autre. De telles divergences portent préjudice tant aux producteurs qu’aux consommateurs.

La proposition de règlement prévoit donc d’interdire la commercialisation, en tant que produits biologiques, des produits dont la teneur en substances non autorisés dépasse un seuil fixé à 0,01 mg/kg, en référence à celui de la directive no 2006/125/CE concernant les préparations à base de céréales et les aliments pour bébés destinés aux nourrissons et aux enfants en bas âge.

Cette mesure, radicale parce qu’elle transforme une obligation de moyen en une obligation de résultat, si elle est favorable aux consommateurs, pourrait avoir des conséquences graves pour les producteurs si elle était adoptée en l’état :

– l’harmonisation des seuils de détection des résidus de substances non-autorisées exige, au préalable, que soient également harmonisées au niveau européen les stratégies d’échantillonnage des organismes de contrôle, les conditions de réalisation de leurs prélèvements, leurs méthodes d’analyse ainsi que les décisions de leur comité de certification ;

– la décertification de sa production à cause de sa contamination par des substances non autorisées ouvrirait droit pour l’exploitant à une indemnisation à condition qu’il ait pris « toutes les mesures appropriées afin de prévenir le risque d’une telle contamination ». Non seulement le coût de cette indemnisation pour les États-membres, y compris les coûts administratifs, n’a pas été évalué mais elle exigerait une autorisation de la Commission. De même ne sont pas définies de manière précise les conditions de mise en cause de la responsabilité du producteur ou, le cas échéant, de l’auteur de la contamination.

En effet, on peut s’interroger sur la possibilité, pour un agriculteur biologique, d'éviter la présence de résidus de substances non autorisées dans ses produits si ses voisins pratiquent une agriculture conventionnelle. En effet, l’essentiel des contaminations n’est pas frauduleuse mais accidentelle. Dès lors, cette question des résidus devrait être traitée en parallèle de celle des pesticides dans l’agriculture conventionnelle. Sur ce point, il convient de noter le retard pris par le Plan Ecophyto 2018 dont l’objectif était une baisse, à cette date, de 50 % de l’utilisation des pesticides.

4. Les règles relatives aux importations

De l’avis général, les règles applicables aux importations de produits biologiques constituent l’un des principaux « points noirs » de la règlementation actuelle. En effet, par leurs insuffisances et, surtout, celles des contrôles, elles sont de nature à créer des distorsions de concurrence avec les producteurs européens et à entamer la confiance des consommateurs. Les études montrent d’ailleurs que ces derniers souhaitent que les produits biologiques importés respectent les mêmes règles que les produits européens et non plus des règles et des contrôles « équivalents ».

Ce sera désormais le cas puisqu’à l’issue d’une période de transition, un produit d’un pays tiers ne pourra être commercialisé comme produit biologique dans l’Union européenne que si l’ensemble des règles européennes de la production biologique ont été satisfaites et si tous les opérateurs ont été soumis au contrôle d’autorités et d’organismes de contrôle accrédités, reconnus et contrôlés par la Commission européenne. Le passage de l’équivalence à la conformité ne change toutefois rien à la nécessité, pour la Commission européenne, de consacrer les ressources matérielles et humaines nécessaires pour un contrôle efficace de ces derniers.

Le régime des pays reconnus équivalents pourra toutefois être maintenu dans le cadre d’accords commerciaux qui garantiront une reconnaissance réciproque d’équivalence pour les produits biologiques européens.

5. La question des actes délégués

La proposition de règlement comporte 45 articles dont 29 renvoient à des actes délégués. Alors qu’aux termes de l’article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, « un acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d'adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif », on observe qu’en l’espèce, ces actes délégués fixeront des règles essentielles s’agissant, par exemple, du seuil de détection des substances non autorisées dans la production biologique.

Si l’on peut comprendre que le progrès technique ou des éléments de contexte exige une adaptation rapide des règles, un nombre aussi considérable de renvois à des actes délégués autant que l’imprécision de leur formulation constituent une source d’insécurité juridique majeure pour les opérateurs.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission s’est réunie le 24 mars 2015, sous la présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente, pour examiner le présent rapport d’information.

L’exposé du rapporteur a été suivi d’un débat.

La présidente Danielle Auroi. Je vous remercie pour cette présentation très claire et très précise qui, comme tous les sujets relatifs à l’agriculture biologique, me rappelle l’époque où j’étais députée européenne. En effet, j’ai rapporté en 2003 la proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CEE) no 2092/91 concernant le mode de production biologique de produits agricoles et sa présentation sur les produits agricoles et les denrées alimentaires, qui a renforcé les règles relatives à l’usage commercial du terme « bio ». C’est d’ailleurs suite à l’adoption de ce règlement que Danone a dû abandonner la dénomination « bio » pour désigner un yaourt qui ne l’était pas.

Depuis cette époque, le marché des produits bio s’est considérablement développé, comme vous l’avez rappelé, et il est normal que les règles évoluent. La proposition de règlement comportent des points positifs mais d’autres sont plus discutables. Je pense par exemple à la mixité des exploitations que la Commission veut supprimer. Vous n’y êtes pas favorable et peut-être faudrait-il fixer un délai plus long mais l’objectif d’exploitations 100% bio me semble pertinent. Il me paraît en effet contradictoire qu’une même exploitation puisse associer l’agriculture intensive et l’agriculture biologique.

Je partage votre analyse sur la nécessité de disposer de toutes les semences bio nécessaires avant la fin de la dérogation. Le FEADER pourrait être utilement mis à contribution pour soutenir la recherche. De même pour l’obligation de contrôle physique annuel, il me semble important qu’elle soit conservée.

En revanche, comme le groupe écologiste au Parlement européen, je pense que l’équivalence des règles, pour les produits bio importés, devrait être préférée à leur conformité.

M. Jérôme Lambert. Je voudrais attirer votre attention sur une question que le rapport – peut être à raison –  ne traite pas. Il s’agit du « triage à façon », c’est-à-dire la possibilité pour l’agriculteur d’utiliser comme semences les graines qu’il a lui-même récoltées. Or, aujourd’hui, les semences sont protégées par des brevets qui interdisent cette pratique, au grand dam des agriculteurs.

M. Jean-Luc Bleunven. Contrairement à d’autres signes de qualité, le label bio est désormais reconnu par une grande partie de la population. Il dispose donc d’un capital de confiance que l’allègement des contrôles, tel que le souhaite la Commission européenne, pourrait entamer. Ce serait d’autant plus regrettable que les agriculteurs biologiques les acceptent parfaitement, voire même les réclament.

Mme Sophie Rohfritsch. Je salue l’impartialité de cette présentation qui montre bien toutes les limites des règles européennes en la matière. A ce propos, peut-être suis-je naïve mais je m’interroge sur la réelle nécessité de ces règles européennes. En effet, le bio, c’est avant tout une production et une consommation locales qui, de ce fait, doivent reposer sur des circuits courts. Si les produits bio circulent dans toute l’Union européenne, comme c’est aujourd’hui le cas, l’impact positif de l’agriculture biologique sur l’environnement est remis en cause, au moins en partie.

Par ailleurs, j’attire votre attention sur la situation de l’Allemagne. Alors que ce pays a longtemps été l’un des premiers producteurs bio, il semblerait qu’aujourd’hui, de nombreuses exploitations bio connaissent de graves difficultés. Avez-vous des informations sur la crise que connaîtrait actuellement la production bio allemande ?

M. Pierre Lequiller. Je voudrais revenir sur les contrôles. L’Union européenne est souvent perçue par nos concitoyens comme une Europe du contrôle, ce qui les peut les irriter fortement. Dès lors, le coût de ceux-ci est-il l’unique raison de l’allègement des contrôles sur les producteurs bio ou bien la Commission européenne souhaite-elle réduire des contrôles qui pourraient apparaître particulièrement contraignants ? Sur ce point, j’aimerais avoir des précisions quant à la nature des contrôles pesant sur les producteurs bio.

M. Yves Daniel, rapporteur. Comme la présidente, je considère que l’étiquetage est fondamental pour la confiance des consommateurs et qu’à ce titre les règles doivent être précises et rigoureusement appliquées. L’exemple que vous avez rappelé du yaourt appelé « Bio » alors qu’il ne l’était pas montre bien que ce signe de qualité doit être protégé. Ce qui vaut pour le bio vaut d’ailleurs pour tous les autres signes de qualité.

S’agissant de la mixité des exploitations, je ne crois pas que l’agriculture intensive soit conciliable avec l’agriculture bio. En revanche, je pense qu’il est possible d’associer cette dernière avec une agriculture raisonnée qui, sans être bio, est engagée dans une démarche de qualité.

Pour justifier l’interdiction de la mixité, la Commission européenne nous explique qu’elle réduira considérablement les risques de contamination mais c’est un leurre puisqu’une exploitation bio est, dans l’immense majorité des cas, entourée par des exploitations pratiquant l’agriculture conventionnelle.

Je suis favorable au maintien de la mixité pour des raisons pragmatiques : l’interdire brutalement risquerait d’entraver la conversion des exploitations alors même que la consommation de produits bio augmente. Je pense au contraire qu’il faut encourager cette conversion et ne pas multiplier les contraintes sur les producteurs.

Toutefois, à terme, il est préférable que les exploitations soient 100% bio mais ce ne sera possible qu’une fois le marché du bio devenu mature. La mixité des exploitations pourrait alors être supprimée à l’issue de la période de conversion ou d’une période plus longue à définir.

S’agissant des semences, la Commission propose de supprimer, au 31 décembre 2021, la possibilité pour les agriculteurs bio d’utiliser des semences non bio non traitées. Toutefois, pour que cette mesure ait un sens et puisse être appliquée sans entraîner une chute de la production, encore faut-il qu’à cette date, toutes les semences pour toutes les variétés soient disponibles en bio, ce qui exige un considérable effort en matière de recherche, notamment via les financements du FEADER.

Je le répète, un mécanisme de contrôle crédible est fondamental pour la confiance des consommateurs. La Commission européenne propose de supprimer l’obligation de contrôle annuel pour ne conserver qu’un système de contrôle basé sur l’analyse des risques. Plus une exploitation apparaît risquée, plus elle sera contrôlée. Inversement, plus elle a fait la preuve de son sérieux, moins elle le sera. Or, je ne crois pas que les deux systèmes de contrôle soient incompatibles et d’ailleurs, les organismes de contrôle les appliquent aujourd’hui concomitamment, doublant l’obligation de contrôle physique annuel par des contrôles inopinés. Pour vivre ces contrôles, en tant qu’exploitant bio, je considère qu’ils sécurisent le consommateur mais également le producteur qui, une fois le contrôle passé, est rassuré sur la qualité de production et peut la mettre en avant. C’est pour cette raison qu’il les réclame, alors même qu’il paie directement les organismes privés de contrôle (en France du moins, car en Europe du nord, les organismes sont publics).

Je considère important, pour la confiance du consommateur, que les produits bio importés respectent les mêmes règles que les produits européens. La proposition de règlement, en exigeant, pour ces produits, la conformité des règles de production et non plus une simple équivalence, va donc dans le bon sens. Bien sûr, il ne faudrait pas qu’en imposant les règles européennes aux produits importés, cette mesure déprime la production dans les pays tiers, qui peuvent être des pays en développement. C’est pourquoi une période de transition est prévue afin de leur permettre de s’adapter.

S’agissant du « triage à façon », il est interdit à l’agriculteur d’échanger les graines qu’il a récoltées, lorsqu’elles sont protégées par un brevet, mais pas de les utiliser lui-même sur sa propre exploitation. L’article 6 de la loi no 2014-315 du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon a même précisé que « cette utilisation ne constitue pas une contrefaçon ». Cette question concerne toutefois l’ensemble des agriculteurs et pas seulement les agriculteurs bio, et elle n’est pas traitée en tant que telle dans la proposition de règlement.

D’une manière générale, je reconnais que les règles européennes sont complexes mais elles sont nécessaires. En effet, même si, dans l’idéal, il faudrait rapprocher la production de la consommation et limiter les transports de produits bio, je rappelle que la France ne produit que 75 % des produits bio qu’elle consomme et l’Allemagne encore moins – sans que j’ai plus d’information sur une éventuelle crise de la production dans ce pays. La réalité de la circulation des produits bio dans l’Union européenne exige des règles harmonisées.

À l’issue de ce débat, la commission des Affaires européennes a adopté la proposition de résolution ci-après, puis a approuvé la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, modifiant le règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil [règlement sur les contrôles officiels] et abrogeant le règlement (CE) no 834/2007 du Conseil (COM(2014) 180 final - E 9240).

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu le règlement (CE) no 834/2007 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologique,

Vu le rapport du 11 mai 2012 de la Commission au Parlement et au Conseil sur l’application du règlement (CE) no 834/2007 du Conseil relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques,

Vu la communication du 24 mars 2014 de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions, intitulée « Plan d’action pour l’avenir de l’agriculture biologique dans l’Union européenne »,

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, modifiant le règlement (CE) no 834/2007 du Conseil,

Vu l’avis du Comité économique et social européen du 16 octobre 2014 sur la communication de la Commission et sur la proposition de règlement du Parlement et européen et du Conseil relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques,

Vu l’avis du Comité des régions du 4 décembre 2014 sur les mesures proposées par la Commission européenne en faveur de la production biologique,

Considérant que l’agriculture biologique peut se définir comme un système de production lié au sol qui maintient et améliore la santé des sols, des écosystèmes et des personnes en s’appuyant sur des pratiques de culture et d'élevage en phase avec les conditions locales, les cycles naturels et la biodiversité ; qu’elle exclut le recours à des organismes génétiquement modifiés et vise à supprimer l'utilisation de produits chimiques de synthèse ainsi qu'à assurer un niveau élevé de bien-être aux animaux de l'exploitation ; qu’à ce titre, elle est source d’inspiration pour l’agriculture conventionnelle,

Considérant que l’Union européenne, depuis le règlement (CEE) no 2092/91 du Conseil du 24 juin 1991 concernant le mode de production biologique de produits agricoles et sa présentation sur les produits agricoles et les denrées alimentaires, a établi des règles communes afin de garantir la confiance du consommateur dans les produits issus de l’agriculture biologique ainsi que les conditions d’une concurrence équilibrée entre les producteurs européens et entre ceux-ci et les producteurs situés dans des pays tiers,

Considérant que ces règles communes, améliorées par le règlement (CE) no 834/2007, ont contribué à convertir 235 000 exploitations agricoles, représentant 9,5 millions d’hectares, au mode de production biologique et à créer un marché de 22,2 milliards d’euros pour les produits biologiques, faisant de l’Union européenne le deuxième marché mondial pour ces produits,

Considérant que la filière biologique, par le dynamisme de sa croissance, est créatrice d’emplois dans l’ensemble des États-membres de l’Union européenne,

Considérant que la consommation européenne de produits biologiques croît aujourd’hui plus vite que la production, obligeant l’Union européenne à augmenter ses importations en provenance des pays tiers,

Considérant que la mise en œuvre du règlement (CE) no 834/2007 précité, telle qu’évaluée par la Commission européenne, le Parlement européen et la Cour des comptes européenne, a révélé de nombreuses défaillances, à la fois dans l’application des règles elles-mêmes, les dérogations à celles-ci et dans les mécanismes de contrôle, tant pour les produits européens que pour les produits importés, lesquelles susceptibles d’entraver le développement de la production et de nuire à la confiance des consommateurs,

Considérant que ces défaillances, par leurs effets réels et potentiels, justifient que les règles actuelles applicables à la production biologique évoluent dans le double objectif de garantir la pérennité et le développement durable de l’agriculture biologique européenne ainsi que la confiance des consommateurs dans les produits de celle-ci comme dans les produits importés,

Considérant que l’évolution des règles actuelles doit s’accompagner d’une harmonisation des pratiques en vigueur dans les États-membres, en particulier s’agissant des organismes de contrôle et des méthodes d’analyse qu’ils emploient,

Considérant que la proposition de règlement abroge le règlement (CE) no 834/2007 à compter du 1er juillet 2017,

Considérant que la Commission européenne a annoncé qu’elle retirerait sa proposition de règlement si celle-ci n’était pas adoptée par le Conseil et le Parlement européen avant la fin du premier semestre 2015,

1. Se félicite que l’attention croissante des citoyens européens à la qualité de leur alimentation comme à la mise en œuvre de pratiques agricoles respectueuses de l’environnement ait contribué à faire de l’Union européenne le deuxième marché mondial pour les produits biologiques ;

2. Est consciente que l’augmentation de la consommation européenne a été plus rapide que celle de la production, obligeant l’Union européenne à importer une part croissante des produits biologiques qu’elle consomme ; que les règles applicables à ces importations, en particulier celles relatives au contrôle, ont été jugées défaillantes par le Parlement européen, la Cour des comptes européenne et la Commission européenne elle-même ;

3. Rappelle que ces mêmes institutions ont, d’une manière générale, constaté que la complexité des règles actuelles, en particulier pour les petits exploitants, est susceptible de les dissuader de se convertir au mode de production biologique ; que les divergences dans l’application des règles actuelles, tant entre les États-membres qu’entre les organismes de contrôle, et la mise en œuvre des dérogations entraînent des distorsions de concurrence entre les producteurs européens et entravent le développement de la production ; qu’enfin, les mécanismes de contrôle sont, sur plusieurs points, défaillants, faisant peser un risque majeur pour la confiance du consommateur en cas de révélation d’une fraude ou d’une négligence affectant la qualité des produits biologiques ;

4. Salue l’initiative de la Commission européenne, à l’issue d’une large consultation de l’ensemble des parties prenantes, de faire évoluer les règles applicables à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques ;

5. Invite la Commission européenne à interpréter de manière souple le délai qu’elle a fixé au Conseil et au Parlement européen pour adopter sa proposition de règlement et tienne compte du travail effectué par ces deux institutions ainsi que de leur volonté d’aboutir, dans les meilleurs délais, à un compromis souhaité par l’ensemble des parties prenantes ;

6. Souhaite que le Conseil et le Parlement européen parviennent à un accord qui respecte l’équilibre entre la nécessaire confiance du consommateur, qui repose sur des règles strictes et des contrôles renforcés, et le développement de la production biologique, qui exige un allègement des contraintes pesant sur les producteurs ;

7. Juge que cet équilibre n’est pas respecté dans la proposition de règlement qui, dans sa volonté d’uniformiser les règles applicables, aggravent les contraintes pesant sur les exploitants, au risque de déprimer la production européenne de produits biologiques ; à l’inverse, en allégeant d’autres contraintes, en particulier s’agissant des contrôles, elle est susceptible de nuire à la confiance du consommateur ;

8. Réaffirme que le lien au sol des végétaux et des animaux est un principe fondamental de l’agriculture biologique ; que la proposition de règlement, en n’interdisant pas de manière suffisamment précise l’hydroponie, ouvre la voie à des modes de production biologique hors sol ;

9. Se félicite que la proposition de règlement continue à exclure de la production biologique le recours à des organismes génétiquement modifiés (OGM), à des produits obtenus à partir d’OGM ou par des OGM ;

10. Partage l’objectif de la Commission européenne en ce qui concerne une fin programmée de la « mixité » des exploitations biologiques mais souligne que la « mixité » est, pour certaines exploitations qui cultivent par exemple la betterave sucrière, une obligation ; que son interdiction au-delà de la période de conversion est de nature à rendre plus difficile la conversion des exploitations, à contraindre certaines d’entre elles d’abandonner la production biologique ou à les inciter à séparer juridiquement production biologique et production conventionnelle, rendant ainsi plus difficile la mise en œuvre des contrôles ;

11. Partage l’objectif de la Commission européenne d’une réduction du nombre des dérogations aux règles de production ainsi que leur limitation dans le temps, de telles dérogations étant de nature à déséquilibrer les conditions de la concurrence entre les producteurs européens, à défavoriser la recherche pour la mise au point d’intrants biologiques comme les semences autant qu’à nuire à la confiance du consommateur ;

12. Attire l’attention du Conseil et du Parlement européen sur le fait que la réduction du nombre des dérogations aux règles de production, comme leur limitation dans le temps, en particulier pour les semences, n’a de sens qu’à la condition de disposer d’alternatives biologiques ; que, sans un effort important en matière de recherche pour la mise au point de semences biologiques adaptées aux conditions locales pour l’ensemble des variétés de végétaux d’ici au 31 décembre 2021, la fin à cette date des dérogations en matière d’utilisation de semences non biologiques est susceptible de déprimer la production en privant les producteurs des intrants nécessaires ; appelle donc la Commission européenne à mobiliser les financements nécessaires, dans le cadre du « Plan d’action », pour que cette échéance puisse être tenue ;

13. Rappelle que l’élevage biologique respecte des normes élevées en matière de bien-être animal mais que l’attache ou certaines pratiques mises en œuvre de longue date, qui peuvent apparaître comme des mutilations, sont parfois nécessaires à la sécurité physique des éleveurs et des animaux (écornage), à la sécurité sanitaire des animaux (coupe de la queue), ainsi qu’à la qualité nutritionnelle et gustative des produits (castration) ; qu’à ce titre, des dérogations doivent pouvoir continuer à être accordées sous le strict contrôle des autorités compétentes ;

14. Estime que, malgré les contraintes de coût et de charges administratives qu’il fait peser sur les exploitants biologiques, un mécanisme de contrôle crédible est fondamental pour la confiance du consommateur et, par conséquent, pour la pérennité et le développement de la production biologique ;

15. Regrette que la proposition de règlement supprime, en raison de son coût, l’obligation de contrôle annuel sur site des exploitations biologiques au profit d’un mécanisme de contrôle basé sur l’évaluation des risques ; demande à ce que cette obligation, régulièrement mise en avant par les producteurs et aisément compréhensible par les consommateurs, soit rétablie ;

16. Salue la possibilité d’une certification de groupe pour les petits producteurs qui, par la mutualisation des coûts qu’elle permet, est de nature à faciliter la conversion des exploitations vers la production biologique ;

17. Partage l’objectif de la Commission européenne de fixer un seuil harmonisé s’agissant des résidus de produits non-autorisés dans les produits biologiques ; considère toutefois que cet objectif, sauf à créer de graves difficultés pour les producteurs, exige au préalable que les stratégies d’échantillonnage des organismes de contrôle, les conditions de réalisation de leurs prélèvements, leurs méthodes d’analyse et les décisions de leur comité de certification soient harmonisées au niveau européen et que soient définies de manière précise les conditions de mise en cause de la responsabilité du producteur (ou, le cas échéant, de l’auteur de la contamination) ainsi que celles de son indemnisation éventuelle ;

18. Approuve la proposition de règlement en ce qu’elle renforce les règles applicables aux produits biologiques importés qui, au terme d’une période de transition, devront être conformes et non plus seulement équivalents aux règles européennes de production biologique, ainsi que celles relatives à la reconnaissance et la supervision des autorités et des organismes de contrôle dans les pays tiers ; rappelle toutefois que la Commission européenne devra dégager les ressources matérielles et humaines nécessaires pour un contrôle efficace de ces derniers ;

19. Comprend l’intérêt des actes délégués pour adapter rapidement les règles à l’évolution du contexte mais s’étonne de leur nombre considérable dans la proposition de règlement et s’inquiète de voir le Conseil et le Parlement européen se prononcer sur celle-ci sans pouvoir mesurer pleinement la portée de certaines de ses dispositions parmi les plus importantes et les producteurs être confrontés à l’insécurité juridique découlant de changements inopinés des règles applicables.

1 Ces dernières peuvent, selon les pays, représenter une proportion considérable des surfaces cultivées selon le mode biologique : 64 % en Bulgarie, 58% en Roumanie et 39% en Pologne mais seulement 28 % en France.

2 Rapport au Parlement européen et au Conseil sur l’application du règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques (2012).

3 Thünen Institute for Farm Economics : “Evaluation of the EU legislation on organic farming” (2013).

4 « Les productions bio et l’Union européenne » (2015).

5 Il s’échelonne de 14 jours en Bulgarie à 60 jours au Danemark.

6 S’agissant des semences, les États membres peuvent autoriser l'utilisation de semences non biologiques non traitées si des semences biologiques ne sont pas disponibles. Or, la base de données nationale des semences disponibles n’est pas identique d’un État-membre. Comme le prix des semences bio est plus élevé que celui des semences non bio, les producteurs d’un pays dont l’État reconnaît peu de semences bio disponibles bénéficient d’un avantage par rapport à leurs concurrents.

7 Le rapport Thünen a ainsi évalué le coût total de la certification bio à 0,4% du revenu brut d’une ferme et 1 % du chiffre d’affaire d’un transformateur.

8 Actuellement onze pays ont obtenu cette équivalence : Argentine, Australie, Canada, Costa Rica, États-Unis, Inde, Israël, Japon, Nouvelle Zélande, Suisse, Tunisie.