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L’animal harceleur, c’est l’homme. Pas le loup, l’ours ou le requin

La campagne de sensibilisation contre le harcèlement lancée par la RATP montre des femmes menacées par des animaux sauvages. L’auteure de cette tribune, qui n’a jamais vu ni loup, ni ours, ni requin dans le métro, réagit contre l’incapacité des communicants à identifier l’homme comme harceleur.

Nathalie Fontrel est journaliste en charge de l’écologie sur France Inter.


La campagne de sensibilisation contre le harcèlement de la RATP est symptomatique de cette incapacité à nommer les faits. On y voit des animaux dits prédateurs or, ce ne sont pas des requins, des ours ou des loups qui harcèlent ou agressent les femmes dans les transports en commun. Je n’en ai jamais rencontré dans le métro, le RER ou le bus. Ceux qui sont « indélicats » et pesants et harceleurs sont des bipèdes que l’on appelle des humains. Ils n’ont pas les crocs des loups, pas les dents des requins, pas les pattes griffues des ours : ils appartiennent au genre humain.

Alors, pourquoi ne pas le dire et le montrer dans cette campagne d’affichage pour alerter contre les violences ? La dernière fois que j’ai rencontré un loup, il voulait attaquer un troupeau de brebis, il a renoncé parce que nous étions, le berger et moi, présents sur son chemin. L’ours, j’ai tenté de le voir mais il est, dit-on, timide ou plutôt méfiant envers l’espèce humaine. Quant au requin, j’en ai approché beaucoup grâce aux biologistes plongeurs qui m’ont guidée, mais je ne m’aventure pas à prendre leur écosystème de chasse pour mon terrain de jeu aquatique. Ni les uns ni les autres ne sont apparus dans les transports en commun, ni les uns ni les autres ne sont venus se frotter contre moi dans un bus, ni les uns ni les autres n’ont dans leur langage eu des propos inappropriés. Nous n’avons pas besoin de la vie dite sauvage pour nous faire du mal ! Nous sommes très doués pour nous débrouiller tout seuls dans ce domaine de la violence.

Les communicants masculins n’ont pas osé afficher le coupable : l’homme

La campagne de « sensibilisation » de la RATP est sans doute née dans l’esprit de ces communicants masculins qui n’ont pas osé mettre à l’affiche le coupable : l’homme. Évidemment, c’est compliqué : doit-on publier une photo d’un homme ou d’une femme dans le rôle du harceleur ? Il n’y a donc pas d’homme sur la campagne d’affichage, mais une femme victime visiblement terrorisée par, selon les versions, soit un requin, soit un loup qui la menace. Ça en dit long sur l’incapacité d’identifier et d’afficher le harceleur. C’est un homme et non pas un animal, encore que l’homme soit plus animal que bien des animaux.

À tous ces médias qui se gargarisent à longueur de journaux et de radio sur, je cite, « la libération de la parole des femmes » et clament que désormais l’avenir sera différent, je dis : « Attention. Ne croyez pas que nous ayons trouvé la solution. La preuve : ça continue. » Le plus incroyable dans ce contexte de soi-disant vigilance, c’est que ce soit une association de protection des animaux (Ferus) qui ait soulevé le lièvre. Ah ! tiens, le lièvre. Il ne figure pas dans le bestiaire des harceleurs de cette campagne contre le harcèlement.

On n’est pas sorti de l’auberge !

Comment peut-on être ainsi hors sol des préoccupations qui baignent notre société depuis des mois ? On s’interroge sur la formation des professionnels de la communication. On s’interroge aussi sur le discours de Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, venue vanter sur France Inter, lundi 5 mars, cette campagne contre le harcèlement, que visiblement personne parmi les journalistes n’avait regardée, sur laquelle personne ne s’était interrogé. Donc, si j’en crois mes oreilles — la radio —, et mes yeux — les affiches — : les coupables du harcèlement sont des animaux. Mais oui, c’est vrai, nous sommes des animaux. Mais pas parmi les plus sympathiques.

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