Une nouvelle croisade contre les sites de téléchargement illégal

Le paysage du téléchargement pirate devrait avoir fortement changé d’ici 3 ou 4 ans.

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Par Jean-Claude Verset

Chantal De Pauw, porte-parole du SPF Economie évoque l’ampleur du phénomène: "Dans le cadre des actions "In Our Sites " (IOS), la Belgique (SPF Economie & SPF Finances) a bloqué, en 2014, 226 sites web reliés à des noms de domaine ‘.be’ ou ‘.eu’, contre 340 en 2013."

En 2014 le SPF Economie a supprimé près de 80 000 liens vers des contenus (films, musique, jeux) illégaux, contre 500 000 liens en 2013. (un lien correspond à un film ou une chanson). Mais ce chiffre élevé s'explique par la suppression des liens sur un très important site des films illégaux. Selon Chantal De Pauw, ce résultat est le fruit de la collaboration avec la BEA (Belgian Entertainment Association).

Depuis quelques semaines, la lutte contre les sites de téléchargement illégal semble avoir pris un nouvel élan. The Pirate Bay est -en principe- inaccessible sur le territoire belge mais, depuis janvier, c’est aussi le cas pour les sites Kickass Torrent, ExtraTorrent et H33T. Le prochain site dans le collimateur pourrait être T411, une autre plate-forme de partage "collaborative" peu respectueuse de la législation.

Imposer aux fournisseurs d’accès le blocage du contenu

La BEA (Belgium Entertainement Association), section belge de l’IFPI, a pour ambition de prôner l’"online fairplay" qui consiste à respecter les droits des auteurs, à aider les sites de streaming légaux et à assurer la protection du consommateur. Pour son avocat Vincent Jadot, la procédure d’interdiction d’un site peut s’effectuer via un simple dépôt de plainte.

Dans le cas du site de copie illégale Pirate Bay, c’est d’abord une action au civil devant les tribunaux d’Anvers qui a permis, via une action en cessation, d’imposer aux fournisseurs d’accès belges le blocage du contenu à leurs abonnés. C’était en 2011, et ce blocage ne portait que sur des noms de domaine bien déterminés. L’efficacité d’une telle mesure est limitée par le fait que les sites contournent aisément l’interdiction en proposant les mêmes services sous d’autres adresses et sur d’autres serveurs. Les sites contrecarrent ces interdictions en créant des sites miroirs qui imposent, pour le bloquer, de lancer une nouvelle procédure judiciaire.

Au civil et au pénal

Mais avec le temps, les condamnations prennent une portée plus générale en faisant référence non plus à un URL, mais au contenu et au nom (par exemple celui de Pirate Bay) du site répréhensible. Dans ces procédures de blocage, les fournisseurs d’accès doivent obéir aux injonctions de justice, mais ne sont évidemment pas jugés responsables des téléchargements.

Outre les actions au civil menées par des ayant-droits, se multiplient aussi les procédures pénales menées contre le site lui-même : "Nous avons fait bloquer une dizaine de sites P2P en Belgique. Nous déposons un dossier d’instruction qui va imposer des mesures conservatoire visant à préserver les droits des parties civiles. Une mesure conservatoire consiste à demander que les fournisseurs d’accès bloquent l’accès. C’est ensuite qu’un juge du fond se prononcera sur la légalité ou non du site." précise Vincent Jadot, également actif à la Fédération belge anti-piratage (BAF). La plainte menée contre 10 sites P2P (Peer-to-peer), en 2012/2013 est encore pendante.

Plainte à la Computer Crime Unit

A La Computer Crime Unit, le commissaire Olivier Bogaert évoque un principe légal: "Si plainte est déposée en justice par des personnes qui disposent des droits d’auteur, le procureur du Roi peut demander au service DNS de bloquer -en Belgique- des sites sur base de leur nom de domaine." La liste est gérée par parquet. Mais que les "petits" téléchargeurs se rassurent, des poursuites ont bien lieu dans notre pays, mais ciblent les groupes organisés qui en retirent du profit.

DNS, l’annuaire du web

En Belgique un acteur central de la procédure est DNS.be, l’entreprise qui dispose du monopole de l’octroi des noms de domaine se terminant par .BE. Le DNS est souvent d’écrit comme l’annuaire du web. Ce système permet de transposer une URL en adresse IP utilisable par les routeurs pour accéder au site. C’est au niveau du résolveur DNS que le fournisseur d'accès internet va mettre en œuvre le blocage ordonné par la justice. La procédure de désactivation consiste à bloquer l’URL au niveau du "Names Server", un serveur chargé d’orienter une requête vers les sites désirés. Lorsque son client voudra accéder à ce site bloqué, il ne sera pas redirigé vers l’adresse IP recherchée, mais vers un message de mise en garde.

Lut Goedhuys de DNS.be précise deux raisons pour lesquelles un "name server" peut être désactivé. " La première est une décision judiciaire. Et en 2014 nous en avons reçu moins de 5. La seconde raison est une réquisition du Parquet. Ces réquisitions peuvent être déclamées par différentes administrations fédérales telles que le SPF Economie, les Douane, etc. Nous avons ainsi désactivé les names servers de plusieurs noms de domaine ressemblant à Abercrombie&Fitch. Dans ces cas-là, il peut s’agir d’une ou de plusieurs dizaines de noms de domaine." Pour les sites de jeux de hasard, la commission des jeux de hasard, qui comprend des magistrats en son sein, peut également donner des injonctions directes à DNS.be.

Chez DNS.be, on nous précise ne pas avoir de regard sur le contenu éventuellement illégal d’un site: " La demande de désactivation nous vient par décision de justice. Les personnes qui se sentent lésées par un contenu illégal doivent donc s’adresser directement à la Federal Computer Crime Unit."

Ne bloquer que les internautes belges

Le blocage d’un site ordonné par la justice belge n’est opérationnel qu’en Belgique alors qu’il peut rester accessible de l’autre côté des frontières. Un truc consiste à se faire passer pour un étranger ou, plus simplement, d’empêcher la localisation de l’internaute. Il suffit de passer par un site proxy comme il en existe des dizaines sur le Web ou de télécharger le célèbre outil Tor qui anonymise tout individu sur la toile. Avec toutefois un inconvénient de taille: cette procédure ralentit fortement le processus. De manière bien involontaire, les universités sont parfois, elles aussi, des passoires à contenu illicite. Par exemple en accordant trop de droits d’accès aux étudiants qui, ensuite, les utilisent à d’autres tâches que leur activité académique. Ils peuvent ainsi se faire passer pour des étrangers et ne pas subir le filtrage imposé aux internautes belges.

Mais même sur le territoire, les internautes ont appris à bricoler. D’autant que le site de Pirate Bay joue au chat et à la souris avec la justice depuis 4 ans déjà. Le site maudit avait d’ailleurs proposé à ses membres un navigateur anti-censure leur permettant d’accéder aux principaux sites de téléchargement illégal.

Pour contourner les obstacles juridiques, les sites illégaux pratiquent l’hébergement multiple et évitent le référencement par leur nom de domaine. Pirate Bay et d’autres se réfugient notamment aux îles Tonga qui gagnent de l’argent en servant de repère aux sites de téléchargement, aux sites de jeux illégaux et autres sites pédopornographiques.

" Vous essayez de consulter contient des informations illégales "

Pour l’internaute en quête de copies de films illégales, les tentatives d’accès aux sites voient s’afficher un message indiquant: " Vous venez d’être redirigé vers cette page. Le site que vous essayez de consulter contient des informations illégales au regard de la législation belge. " Il nous a fallu pas mal de recherche pour savoir qui est l’auteur de ce message. Il ne s’agit ni de la Computer Crime Unit, ni de DNS.be, mais bien du SFP Economie.

Parler de la fin du téléchargement est sans doute prématuré. Mais à l’instar du streaming audio via Deezer ou Spotity qui a réduit la copie musicale, Youtube et Netflix commencent à offrir une vitrine de téléchargement légal digne de ce nom. Le paysage du téléchargement pirate devrait avoir fortement changé d’ici 3 ou 4 ans.

Jean-Claude Verset

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