Partager
Politique

Comment Hollande a fait de Macron le Brutus de l'histoire

Après un jeu de dupes de près de six mois, Emmanuel Macron tire les conclusions de l'ambition présidentielle qu'il affiche. Mais François Hollande aura tout fait pour éviter d'apparaître pour le méchant de l'histoire, laissant à Macron le rôle de Brutus frappant César.

2 réactions
François Hollande et Emmanuel Macron le 23 mai 2016

François Hollande et Emmanuel Macron, le nouveau "Brutus"?

Charles Platiau/Afp

Il est impossible pour Brutus de poignarder César avec bienveillance. Et Brutus finit toujours par mourir à Philippes. Vie de traître, mort de traître. Ainsi s’établit la loi de l’histoire, de Brutus à Macron en passant par Balladur…

Le départ d’Emmanuel Macron n’est pas nécessairement une défaite de François Hollande. Il est même possible qu’il s’agisse d’une forme de victoire. Dans ce genre de situation, les archétypes sont indépassables: le méchant est celui qui trahit et assassine l’autre, quand bien même la cause défendue pour commettre l’irréparable se drape de noblesse et d’ambition désintéressée. Brutus a tué César pour sauver la République, mais il demeure à jamais celui qui a tué son père. Fondateur. Indépassable. Incontournable.

Au bilan, à l’heure du départ, François Hollande a réussi à déjouer le piège que lui a tendu, de manière incessante et constante, Emmanuel Macron. Il s’est refusé, avec obstination, à tirer les conclusions du comportement provocateur de son ministre de l’Economie. Ni sanction. Ni exclusion. Surtout ne pas devenir le méchant de l’histoire.

Une démarche de rupture

Depuis le mois d’avril dernier, Emmanuel Macron s’était lancé dans une démarche de rupture qui n’échappait qu’aux sourds et aux aveugles. Tout indiquait que le ministre entendait sortir du gouvernement pour se lancer dans une aventure présidentielle de type Giscard 1974. Le ministre ne s’en cachait pas, qui répétait à tous ses visiteurs (car François Hollande n’est pas le seul à recevoir des journalistes) qu’il entendait être candidat à l’Elysée en 2017 parce que, selon lui, compte tenu des circonstances particulières de l’époque, ce serait sa seule chance d’être élu président de la République. Tout était dit. Tout se savait. Et tout était répété à François Hollande.

Car François Hollande savait tout. Depuis le début. Jamais il n’a été dupe de l’ambition de Macron. Tout au plus lui arrivait-il, parfois, devant des proches, de confesser « Je l’ai perdu… », mais pour le reste, il n’a jamais douté un seul instant de ce que Macron était lancé dans une aventure sans retour.

C'est de la com' des années 80

Dans un premier temps, le président a tenté de dissuader l’aventurier. "Je lui ai dit c’est un peu ringard ton truc", annonçait-il à ses visiteurs, du soir et du matin, ajoutant "C’est de la com’ des années 80, non?", et concluant: "Je l’ai mis en garde, tu peux finir comme Montebourg". La dissuasion planait. Mais jamais François Hollande n’appuya sur le bouton de la force de frappe jupitérienne. Jamais.

Et pourtant! Manuel Valls et bien d’autres n’ont cessé de réclamer le départ d’Emmanuel Macron. « Fous le dehors ! » tempêtaient certains hiérarques socialistes. François Hollande les écoutait, mais demeurait inerte. L’inertie, stade suprême du hollandisme en mouvement. Bouger, c’est-à-dire frapper Macron, c’eut été lui offrir ce qu’il recherchait : le martyr politique et médiatique. Surtout, ne pas tomber dans le piège. Seul Macron pouvait détruire Macron. Julien Dray, toujours au coeur de l'intrigue, le répétait lui-même à Macron : "Ton problème, c'est que tu ne veux pas passer pour le Brutus de l'affaire".

Donc Hollande n’a rien dit. Il n’a rien fait. Il a laissé dire et faire. Et Macron a été contraint de faire ce que le président voulait qu’il fît: s’enfermer dans une contradiction de plus en plus étouffante, jusqu’à se retrouver dans une position intenable. Les Français ont ainsi pu contempler durant près de six mois, l’hallucinant spectacle offert par l’OVNI Macron.

 

Un show Macron suranné

Récapitulons. Macron qui se proclame ni de droite ni de gauche. Macron qui n’est pas socialiste. Macron qui dit à un jeune chômeur qu’il n’a qu’à travailler s’il veut se payer un costard. Macron qui se produit, à la Mutualité aux côtés du gentil illuminé Alexandre Jardin. Macron qui pose avec madame dans Paris Match, en mode communication antique façon EuroRSCG, sur la plage, croisant un nudiste, le tout après avoir promis que Paris Match et les people, plus jamais ça. Macron qui contemple les spectacles de gladiateur musclés et virils organisés par Philippe de Villiers, le royaliste ultra-catholique, au Puy-du-Fou… Macron qui se disperse. Macron qui s’éparpille. Macron qui se ventile. Macron qui se brouille. Macron qui se croit moderne et qui déjà se démode à force de faire du vieux.

Le show Macron a beaucoup plu aux éditorialistes du monde d’avant, toujours en mal de nouveauté. Il est neuf, il est jeune, il rénove la politique, enfin un souffle d’air frais… Macron tout nouveau tout beau… Macron la révolution. Mais politiquement, ce même show a ruiné toutes les fondations potentielles du personnage. A force d’avoir été partout depuis le début du printemps, Macron n'est nulle part à la fin de l’été.

Un nénuphar politique

Macron est de ces nénuphars politiques qui émergent en politique, de temps à autre, portés par l’air du temps et des médias en mal de nouveaux personnages de roman, mais qui, faute de racines, finissent par périr d’eux-mêmes… François Hollande l’avait compris depuis le début. Faute d’espace politique, Macron n’avait guère de chances de parvenir à le convaincre qu’il fallait lui faire le cadeau de l’éjecter. Il suffisait de compter sur le temps.

Il fallait laisser Macron enfiler la tunique de Brutus. Plus le temps passait, plus Macron ne pouvait sortir de son ambiguïté qu’à son détriment. François Hollande n’a fait qu’appliquer la célèbre formule du cardinal de Retz. Les classiques ont fait leur preuve, il suffit de les respecter. Décidément non, François Hollande n’avait rien à faire pour montrer à la gauche que Macron n’était qu’une bulle médiatique hors sol, déconnectée de la réalité politique.

Certes, le départ de Macron fait mal à François Hollande. Si la possibilité pour le fondateur de En Marche! de devenir président est des plus réduites, elle porte malgré tout un nouveau coup à la légitimité du président en place. Qu’un jeune ministre de 38 ans, jamais élu nulle part, inconnu des Français il y a seulement deux ans, qui n’existe qu’à raison de l’expression du seul bon plaisir de François Hollande soit parmi les premiers à considérer que ce même président est bon à ranger dans la galerie des souvenirs, c’est un rude coup. Et cela laissera des traces. Parmi les proches du ministre, certains prétendent que le livre Conversations secrètes, révélant un François Hollande manquant de hauteur et profondeur, a été l’un des éléments déclencheurs de la décision de Macron d’avancer la date de son inéluctable sortie du gouvernement.

Cela étant, pour lui-même, Macron a raté son affaire. Le voici Brutus alors qu’il aurait pu être Macron. Car l’Antiquité connut aussi un Macron. Ce dernier, préfet de Rome, assassina Tibère pour faciliter l’accès au pouvoir de Caligula, et gouverner en le manipulant. Ce Macron là, au moins, avait réussi son coup. Traître, oui. Meurtrier du père de substitution, oui. Mais au moins obtint-il, pour un temps, le pouvoir en guise de récompense. Sauf que François Hollande n’est pas Tibère. Ni César d’ailleurs.

La gauche au pouvoir, à quelques mois de l’élection présidentielle de 2017 est loin de la célèbre devise de César Borgia, « aut Caesar, aut Nihil ». Pour les uns comme pour les autres, Hollande, Macron, Valls et compagnie, ce serait plutôt « Aut Nihil, aut nihil ».

2 réactions 2 réactions

Centre de préférence
de vos alertes infos

Vos préférences ont bien été enregistrées.

Si vous souhaitez modifier vos centres d'intérêt, vous pouvez à tout moment cliquer sur le lien Notifications, présent en pied de toutes les pages du site.

Vous vous êtes inscrit pour recevoir l’actualité en direct, qu’est-ce qui vous intéresse?

Je souhaite TOUT savoir de l’actualité et je veux recevoir chaque alerte

Je souhaite recevoir uniquement les alertes infos parmi les thématiques suivantes :

Entreprise
Politique
Économie
Automobile
Monde
Je ne souhaite plus recevoir de notifications