Virginie Linhart revient sur l'expérience de cette faculté ouverte à tous, dans laquelle ont enseigné des grands intellectuels du XXe siècle.
Publié le 01 juin 2016 à 16h00
Mis à jour le 08 décembre 2020 à 02h44
Petite fille, la documentariste Virginie Linhart découvrait l'université de Vincennes et son « joyeux bordel » sur les pas de son père, Robert Linhart, maître assistant au département de philosophie fondé par Michel Foucault. De ce souvenir émerveillé est partie l'envie de retracer l'histoire de cet endroit unique et foisonnant né dans le sillage de Mai 68 et dont ne demeure aujourd'hui qu'une clairière anonyme où la cinéaste Claire Simon a également posé une caméra flâneuse pour son dernier film, Le Bois dont les rêves sont faits. A l'occultation de la mémoire, Virginie Linhart répond par la parole de ceux qui ont vécu cette expérience riche et stimulante, anciens profs et étudiants, alors portés par le désir de réinventer la transmission du savoir et de la pensée et d'ouvrir à tous les portes des études supérieures. Splendide immersion dans une époque et ses utopies, Vincennes, l'université perdue conjugue dans un même élan les verbes étudier et rêver et apporte aux débats actuels sur le système éducatif une belle source d'inspiration.
Comment avez-vous pris conscience de l'effacement de la mémoire autour de l'histoire de l'université de Vincennes ?
En discutant autour de moi, je me suis rendu compte que les générations après la mienne n'ont aucune idée de ce qu'il s'est passé à Vincennes. En 1980, tout a été rasé, des arbres ont été déracinés pour qu'on ne puisse trouver aucun repère topographique. Même ceux qui ont passé dix ans là-bas ne pouvaient pas retrouver l'endroit. Je me suis dit que cette absence de traces serait mon fil conducteur.
Vos souvenirs personnels constituent le point de départ du film. Cela a-t-il été une évidence ?
Dans ma filmographie, il y a deux types de films : ceux que je fais avec beaucoup de plaisir mais qui ne m'impliquent pas personnellement, et ceux où j'ai besoin d'exprimer quelque chose qui m'appartient. Je savais d'emblée que ce projet sur Vincennes serait à la première personne. Je n'aime pas être devant la caméra ni même dire mes textes : cette fois, j'ai dû accepter qu'il y ait quelques plans de moi. Raconter la grande histoire à travers la petite, tirer un peu d'universel des destins particuliers : c'est ma façon d'intéresser les gens à ce que je raconte.
“La pédagogie était portée par l'idée qu'il était possible de changer de vie.”
On sent chez les témoins, les enseignants comme les étudiants, un vrai plaisir de parler...
Que reste-t-il de l'esprit de Vincennes ?
L'esprit de Vincennes est très loin. On peut s'en saisir aujourd'hui, mais on ne pourra pas recommencer cette expérience qui est propre aux années 70. Il existe néanmoins des résonances fortes avec le mouvement Nuit debout, même si tout y est plus ordonné, notamment la répartition de la parole. Vincennes était très bordélique, très brouillonne, exaltée... Le couvercle de la marmite avait été scellé depuis trop longtemps. Après la diffusion, j'aimerais beaucoup projeter le film sur la place de la République.
Au-delà de ce côté « fouillis », le film insiste surtout sur la grande réussite que fut l'université de Vincennes...
Les plus grands professeurs, les meilleurs cours étaient accessibles à tous, sans distinction d'âge ou d'origine sociale. La pédagogie était portée par l'idée qu'il était possible de changer de vie. Quand on constate aujourd'hui les énormes différences entre les collèges, selon les quartiers : c'est exactement le contraire. A Vincennes : il fallait le meilleur pour ceux qui n'avaient pas été déterminés, par leur origine sociale, à suivre des études. Ce film est ma manière de participer au débat public.
J'ai trois enfants. Ma fille aînée est absolument extraordinaire mais pas du tout scolaire : je me suis parfois retrouvée dans des situations inimaginables. Et je me disais : « S'il y avait Vincennes aujourd'hui... » Le système éducatif français est effrayant. Je connais tellement de jeunes gens formidables qui plaquent tout du jour au lendemain parce qu'ils sont frappés par l'inanité ambiante.
Comment avez-vous déniché les archives ?
Avez-vous envisagé de donner la parole aux détracteurs de l'université ?
J'ai eu la chance de trouver un ex-conseiller de la ministre de l'Education de l'époque, Alice Saunié-Seïté, qui m'a rapporté des éléments factuels sur la façon dont la ministre voulait en finir avec Vincennes et sur la morgue dont elle fit preuve. Mais, au fond, ce n'était pas cela qui m'intéressait. Peu m'importe pourquoi la droite ne voulait plus de cet endroit-là. Raser une université est d'une telle violence... Je préfère ouvrir et proposer qu'on réfléchisse aujourd'hui à des modèles du XXIe siècle pour rendre les gens plus heureux en matière d'éducation.
Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.