Cédric Villani, le triomphe d'un génie des maths

Vocation. Il est le onzième Français à recevoir la médaille Fields, le Nobel des mathématiques. Portrait.

Frédéric Lewino

Temps de lecture : 3 min

Dans les couloirs du Congrès de mathématique qui se tient à Hyderabad, en Inde, impossible de manquer le nouveau médaillé Fields - le Nobel des mathématiques -, Cédric Villani. Il arbore, à son habitude, une broche araignée tissée en perles, fixée sur la poitrine. Ses cheveux mi-longs et sa lavallière contribuent à lui conférer l'allure anachronique d'un musicien du XIXe siècle. N'en fait-il pas un peu trop pour cultiver le look de mathématicien excentrique ?" Pas du tout, rit-il ;ici, j'ai beaucoup de succès avec les mathématiciennes coréennes, qui veulent toutes se faire prendre en photo avec moi. " De jeunes Indiens l'arrêtent à tout moment pour un autographe. Une vraie rock star ! Et dire que ce prodige en mathématique de 36 ans était un enfant timide." Je parlais peu ", précise-t-il. Naissance à Brive-la-Gaillarde, puis enfance à Toulon. Mais déjà le don de la provocation puisqu'il adore les maths alors que ses deux parents sont profs de lettres. A 5 ans, ils lui interdisent le jeu d'échecs, pour lequel il a une passion dévorante. Au collège, il engrange les 20/20 comme d'autres collectionnent les mauvaises notes. En troisième, un professeur sait le captiver ; dès lors, son équation personnelle est toute tracée. A 16 ans, il décroche le bac avec la meilleure note de son académie (18/20), lui valant la qualification par un journaliste local de " monument humain à la gloire de la timidité ".

La précocité d'Usain Bolt. Durant un moment de " faiblesse ", il caresse l'idée d'étudier la paléontologie, mais sa bosse des maths, tel un GPS, lui fait retrouver la bonne direction. Il intègre une prépa, déboule à Normale sup', rue d'Ulm (où il devient président des élèves), et décroche son agrégation (en 6e position) avec l'aisance d'Usain Bolt courant un 100-mètres. Son cerveau, perpétuellement en ébullition, évolue dans un autre monde. Qualifié de " brillantissime " ou de " génie précoce " par ses pairs, il est désormais professeur de mathématiques à l'Ecole normale supérieure de Lyon et directeur de l'Institut Henri-Poincaré (UPMC/CNRS), ses recherches se situent entre l'analyse, les probabilités, la physique statistique et la géométrie différentielle." Il excelle à tisser des liens entre des disciplines différentes ", note Bernard Helffer, président de la Société mathématique de France." Malgré son jeune âge, il impressionne dans la synthèse de vastes sujets. Son dernier ouvrage de 700 pages est déjà une référence ", enchérit Jean-Pierre Bourguignon, directeur de l'Institut des hautes études scientifiques. A la question : " Quelles sont les applications de vos travaux dans la vie quotidienne ? ", l'araignée fixée sur sa veste s'agite furieusement : " Est-ce qu'on demande à un grand cinéaste si son oeuvre a des applications ? " Puis elle reprend son calme : " Mes travaux touchent au transport optimal. Ainsi les ingénieurs peuvent s'inspirer de mes équations pour tracer le réseau de distribution d'eau le plus économique pour relier tel abonné à telle source. "

Malgré son animal de compagnie à huit pattes, Cédric Villani a trouvé femme, qui lui a fait deux enfants aux noms celtiques. Quand son cerveau ne crée pas d'équations nouvelles ou que lui-même ne court pas le monde d'un congrès à l'autre pour rencontrer ses confrères, il mène une vie ordinaire. Il adore jouer du piano, assister à un concert du groupe Pigalle ou encore feuilleter des BD." Mais surtout, la seule façon de faire taire mon cerveau, c'est de pratiquer intensivement un sport. J'adore courir ", ajoute-t-il. Ses amis le décrivent comme inventif, obstiné et patient." Je ne donne jamais mon avis à la légère ", précise-t-il.

Cédric Villani est le onzième Français à décrocher la médaille Fields sur les 52 attributions depuis sa création, démontrant ainsi l'excellence de l'école mathématique française. Au côté de Villani, un second Français, d'origine vietnamienne, Ngo Bao Chau, 38 ans, a reçu la médaille Fields. Professeur à l'université Paris-Sud et actuellement détaché à Princeton (Etats-Unis), ce Français de fraîche date (sa naturalisation date du début de l'année) est un spécialiste des représentations et formes automorphes.

Mais à Hyderabad c'est l'araignée de Cédric Villani qui retient l'attention des médias. Elle devra bientôt apprendre à cohabiter avec une belle médaille